Friday, October 21, 2005

(SCIENCES ET THEOLOGIE)

(...) Si les indications que nous tirons de la science, de la nature et des desseins de Dieu, et de là, par inférence, de la destinée de l'homme, sont des preuves directes, alors, aucun progrès dans les sciences ne peut les renforcer; car, comme le fait justement observer notre auteur, "rien ne peut être ajouté à la force d'un argument que l'esprit trouve dans chaque oiseau, chaque bête, chaque fleur". Mais si ces indications sont strictement analogiques, tout progrès dans la connaissance humaine -- toute découverte astronomique, par exemple -- jette des lumières additionnelles sur cet auguste sujet... en étendant la portée de l'analogie. Qu'aujourd'hui nous ne connaissions de la nature de Dieu, de ses desseins, et, partant, de l'homme lui-même, rien de plus qu'il y a seulement une douzaine d'années, c'est là une affirmation désagréablement absurde. (...) Or, à notre avis, le seul argument irréfutable en faveur de l'immortalité de l'âme, ou plutôt la seule preuve concluante de la dissolution et du rajeunissement alternés de l'homme ad infinitum se trouve en des analogies déduites de la récente théorie de la cosmogonie nébulaire*. (...)

* Cette cosmogonie (de Laplace) démontre que tous les corps qui existent dans l'univers sont formés à partir d'une matière nébulaire, d'une substance intermédiaire éthérée rare, diffuse dans l'espace. Elle en montre le mode de formation et les lois qui y président. Elle prouve que toutes les choses sont dans un état de progrès perpétuel et qu'il n'y a rien, dans la nature, qui soit déjà parfait.


(Extraits du compte-rendu critique du 3° volume des "Essais Critiques et Divers" de T. B. Macaulay -- Juin 1841.
Poe reprendra partiellement ces réflexions dans la dernière pièce de son "Chapitre de Suggestions" publié, fin 1844, dans "L'Opale".
On sait aussi toute l'importance qu'il accordera en 1847-8 à la théorie de Laplace dans la composition d'"Eureka".
Reproduit sous sa forme primitive dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904 -- complétée par Ph. Dally -- 1939.)

Monday, October 17, 2005

(LIMITES DE LA RAISON)

(...) Cet ouvrage est, à bien des égards, d'une exceptionnelle qualité. La logique impeccable, la pénétration de pensée, l'évidente sincérité et l'ardente soif de vérité avec lesquelles il a été composé font que peu de traités de théologie peuvent, à notre connaissance, lui être comparés. Sa conclusion témoigne néanmoins d'une espèce d'hésitation, d'inconséquence laissant volontiers croire que l'auteur n'a pas tout à fait réussi à se convaincre lui-même de ces certitudes essentielles dont il paraît si soucieux d'imprégner le lecteur. Mais ne perdons cependant pas de vue que c'est le sujet en soi qui est en cause, et non pas celui qui le traite. Car un homme, quelle que soit l'excellence de ses facultés de raisonnement pour des thèmes aussi grands que Dieu ou l'immortalité, finira toujours par tacitement admettre que Dieu, que l'immortalité sont, au bout du compte, affaires d'intuition plutôt que de démonstration. (...)


(Extrait du commentaire critique sur "Charles Elwood, ou l'Incrédule Converti", roman théologique du Révérend Orestes A. Brownson, donné à l'occasion d'une sympathique analyse graphologique pour le feuilleton "Une Collection d'Autographes" -- Novembre 1841.
En 1844, Poe choisira Vankirk, le personnage agonisant de "Révélation Magnétique", pour prolonger cette réflexion encore évoquée en juillet 1849, parmi les "Marginalia", à propos de la Charité.
Non reproduit dans les OEuvres avant l'édition Ingram de 1874-75.)