Monday, October 18, 2004

(AUTOCRITIQUE ?)

(...) Les articles critiques de Mr Poe me donnent beaucoup moins l'occasion d'aligner des louanges. Certes, ils arborent une érudition, et aussi ce talent particulier d'analyse qui constitue décidément le caractère dominant de tout ce qu'il rédige. Ils sont également remarquables de courage -- ce courage à la don Quichotte, qui pousse les personnes de la trempe de Mr Poe à perpétuellement brandir la lance, même si trop souvent il s'avère n'y avoir, au bout du compte, que de simples moulins à vent. Ajoutons encore cette qualité qu'il serait injuste d'omettre: jamais n'y trouve-t-on la moindre complaisance à l'égard de personnalités influentes, et les cibles n'y sont que fort rarement du petit gibier. Par contre, hélas, tous ses billets critiques paraissent, à mes yeux, d'une amertume extrême, tortueux, chicaniers et inutilement sévères. Mr Poe a été si fréquemment applaudi pour son art du sarcasme qu'il s'imagine obligé de préserver sa réputation en la matière à coups de moqueries incessantes et d'insultes délibérées. Si une oeuvre recèle quelques beautés, notre auteur semble avoir définitivement pris le parti de les ignorer, ou alors, s'il daigne en désigner une, voire aller jusqu'à la citer, le compliment, même bien commencé, on est sûr de le voir s'achever par une note piquante ou une réflexion acerbe, au point, du coup, de passer volontiers pour de la satire déguisée. Un éloge véritable, sincère, chaleureux, voilà bien la chose qu'il est hors de question de chercher dans les feuilletons critiques de Mr Poe. Et quand il a l'intention affichée de se montrer partial jusquà l'extravagance envers certaines de ses amies (un homme n'a jamais droit à pareille faveur...), on le surprend invariablement à glisser, sous l'épaisse couche de miel, une nuance de gêne ou de malice. Avec de tels défauts, ses jugements critiques ne présentent, on s'en doute, que vraiment fort peu de valeur. (...)


(Extrait du manuscrit inachevé: "L'Eplucheur Epluché" -- canular rédactionnel rédigé probablement fin 1846 pour le "Graham's Magazine", sous la signature fictive de "Walter G. Bowen", et dont l'intention et la construction fines ne nous sont, hélas, pas réellement connues.
Publié pour la première fois en 1896.)

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