Sunday, November 14, 2004

(NECESSAIRE MISE AU POINT)

MON CHER WILLIS : -- Le paragraphe qu'on a fait circuler au sujet de la maladie de ma femme, de la mienne, de ma pauvreté, etc... est en ce moment sous mes yeux, en même temps que les beaux vers de Mrs Locke et ceux de Mrs ---- que le paragraphe a inspirés, aussi bien que vos commentaires bienveillants et virils dans le "HOME JOURNAL".
Je laisse le motif du paragraphe à la conscience de celui ou de celle qui l'a rédigé ou suggéré. Puisque la chose est faite et que la situation de ma famille est ainsi impitoyablement exposée au public, je ne vois pas de moyen d'échapper à la déclaration de ce qu'il y a de vrai et de ce qu'il y a d'erroné en cette information.
Que ma femme soit malade, c'est vrai; et vous pouvez vous imaginer avec quels sentiments j'ajoute que cette maladie, désespérée dès le début, s'est trouvée accrue et hâtée par l'envoi à deux époques différentes de lettres anonymes dont l'une contenait le paragraphe en question et l'autre ces calomnies publiées par MM. ---- pour lesquelles j'espère bientôt obtenir réparation par la loi.
Quant aux faits que j'ai été moi-même longtemps et dangereusement malade, et que ma maladie a été une chose bien connue de mes confrères de la presse, il n'en est pas de meilleure preuve que les innombrables entrefilets d'injures personnelles ou autres dont j'ai été récemment l'objet. Il est vrai que le remède à ce mal se trouvera tout seul. Au premier signe de ma nouvelle prospérité, ces messieurs qui m'ont flagorné naguère se raviseront et me flagorneront de nouveau. Vous qui me connaissez, vous comprendrez que je ne voie en ces choses qu'un moyen d'alléger, à certains égards, la mélancolie du malheur en y mêlant un doux et satisfaisant sentiment de pitié, de gaieté et de mépris.
Que, par une suite inévitable de cette longue maladie, j'ai eu besoin d'argent, ce serait folie de vouloir le nier; mais que j'aie jamais souffert de privations matérielles au delà de mon aptitude à souffrir n'est pas absolument vrai. Que je sois sans amis, est une grossière calomnie, que vous-même, j'en suis sûr, n'avez jamais pu croire, et que mille nobles coeurs ne me pardonneraient jamais, à bon droit, de laisser passer sans remarques ni dénégation. En cette cité même de New-York, je n'aurais pas de peine à nommer cent personnes à chacune desquelles, si l'heure en était venue, j'aurais pu m'adresser, avec une confiance absolue et sans le moindre sentiment d'humiliation.
Je ne crois pas, mon cher Willis, qu'il soit nécessaire que j'en dise davantage. Je vais mieux, et je puis ajouter, si cela peut faire plaisir à mes ennemis, que je crains peu d'expirer. La vérité, c'est que j'ai fort à faire, et que je suis bien décidé à ne pas mourir avant que tout ne soit fait.
Sincèrement vôtre

Edgar A. Poe

30 Décembre 1846.


(Lettre de Poe adressée à son fidèle ami le journaliste et écrivain N. P. Willis qui s'était assez maladroitement fait le relais des divers appels, par voie de presse, à la charité publique en faveur du malheureux couple malade et démuni, en ce début d'hiver 1846.
Willis publiera cette lettre dans son "Home Journal" le 9 janvier 1847. Virginia, l'épouse de Poe, devait mourir trois semaines plus tard...
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)

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