Sunday, August 29, 2004

(NATIONALISME LITTERAIRE)

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On a beaucoup parlé, en ces derniers temps, de la nécessité de maintenir une nationalité convenable dans les lettres américaines; mais il n'est personne qui ait jamais nettement compris en quoi consiste cette nationalité, ni l'avantage qu'on en peut tirer. Qu'un Américain doit se borner à des sujets nationaux ou même leur accorder la préférence, c'est là une opinion plutôt politique que littéraire, et en tout cas discutable. Nous ferions bien de ne pas oublier le proverbe qui dit que "l'éloignement prête du charme au paysage." D'ailleurs, au sens strictement littéraire, un sujet étranger doit être préféré, car, en somme, le monde entier est la seule scène qui convienne à celui qui assume le rôle d'écrivain.
Mais il ne subsiste pas le moindre doute en ce qui concerne la nécessité de cette sorte de nationalité qui, en protégeant notre propre littérature, soutient nos hommes de lettres, rehausse notre dignité et dépend de nos propres ressources. Et pourtant, envisagée de ce point de vue, la question nous laisse ordinairement dans la plus coupable indifférence. Nous nous plaignons de ne pas avoir de règlement international sur les droits d'auteur, sous prétexte qu'il y a là de quoi justifier nos éditeurs qui inondent le pays d'idées anglaises répandues par les livres anglais: et néanmoins, quand il arrive à ces mêmes éditeurs de mettre au jour quelque ouvrage américain, à leurs propres risques ou même en s'exposant à une perte assurée, nous faisons presque toujours les dégoûtés et affichons le plus grand dédain, jusqu'à ce que l'ouvrage en question ait été déclaré bon à lire par tel ou tel critique londonien illettré. Y a-t-il la moindre exagération à soutenir que, chez nous, l'opinion de Washington Irving, de Prescott, de Bryant ne compte pour rien auprès de celle émise par quelque anonyme sous-éditeur subalterne du Spectator, de l'Athenaeum ou du Punch de Londres? Non, il n'y a là rien d'exagéré. Au contraire, c'est une vérité solennelle, un fait absolument avéré; et parmi nos éditeurs, il n'en est pas un qui n'en convienne. Il n'est pas sous les cieux de spectacle plus écoeurant que notre servilité à l'égard de la critique anglaise, -- écoeurante, d'abord parce que c'est vil, rampant, pusillanime, et puis, parce que c'est une absurdité sans bornes. Nous savons que les Anglais ne nous veulent le plus souvent que du mal; nous savons qu'ils sont tout à fait incapables de juger les livres américains avec impartialité; nous savons que, dans les cas peu nombreux où nos écrivains ont été traités simplement avec égards en Angleterre, ç'a été quand ces mêmes écrivains avaient ouvertement rendu hommage aux institutions britanniques, ou lorsqu'ils avaient gardé, enfouie au fond du coeur, une tendance secrète en opposition avec l'esprit démocratique; -- nous n'ignorons rien de tout cela, et néanmoins, de jour en jour, nous nous soumettons davantage au joug dégradant de l'opinion la plus baroque qu'il plaît à la mère-patrie de nous imposer. Donc, s'il nous faut une nationalité, que celle-ci soit au moins affranchie d'une tutelle aussi humiliante. (...)
En vérité, le principe de nationalité qu'il importe d'exiger, c'est celui du respect de soi-même. En littérature comme en politique, nous réclamons une Déclaration d'Indépendance. Cependant, une bonne déclaration de guerre vaudrait encore mieux, -- et cette guerre devrait être portée sans tarder "en Afrique".
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(Extraits d'un éditorial militant d'octobre 1845, reproduit parmi les "Marginalia" dans l'édition posthume de 1850.
Traduction de V. Orban -- 1913.)

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