Wednesday, August 11, 2004

(DETRESSE ORDINAIRE)

(...) Si nous ne pouvons pas reprocher aux éditeurs de Magazines un manque absolu de libéralité (puisqu'ils paient), il y a /cependant/ un point particulier, au sujet duquel nous avons d'excellentes raisons de les accuser. Pourquoi (puisqu'ils doivent payer) ne paient-ils pas de bonne grâce et tout de suite? Si nous étions en ce moment de mauvaise humeur, nous pourrions raconter une histoire qui ferait dresser les cheveux sur la tête de Shylock.
Un jeune auteur, aux prises avec le désespoir lui-même sous la forme du spectre de la pauvreté, n'ayant dans sa misère aucun soulagement -- n'ayant à attendre aucune sympathie de la part du vulgaire, qui ne comprend pas ses besoins, et prétendrait ne pas les comprendre, quand même il les concevrait parfaitement -- ce jeune auteur est poliment prié de composer un article, pour lequel il sera "gentiment payé." Dans le ravissement, il néglige peut-être pendant tout un mois le seul emploi qui le fait vivre, et après avoir crevé de faim pendant ce mois (lui et sa famille), il arrive enfin au bout du mois de supplice et de son article, et l'expédie (en ne laissant point ignorer son pressant besoin) à l'éditeur bouffi, au propriétaire au nez puissant qui a condescendu à l'honorer (lui le pauvre diable) de son patronage. Un mois (de crevaison encore), et pas de réponse. Un second mois, rien encore. Deux autres mois... toujours rien. Une seconde lettre, insinuant modestement que peut-être l'article n'est pas arrivé à destination -- toujours point de réponse. Six mois écoulés, l'auteur se présente en personne au bureau de "l'éditeur et propriétaire". "Revenez une autre fois." Le pauvre diable s'en va, et ne manque pas de revenir. "Revenez encore"... Il s'entend dire ce "revenez encore" pendant trois ou quatre mois. La patience à bout, il redemande l'article. -- Non, il ne peut pas l'avoir (il était vraiment trop bon, pour qu'on pût le faire passer si légèrement) -- "il est sous presse," et "des articles de ce caractère ne se paient (c'est notre règle) que six mois après la publication. Revenez six mois après l'affaire faite, et votre argent sera tout prêt -- car nous avons des hommes d'affaires expéditifs -- nous-mêmes." Là dessus le pauvre diable s'en va satisfait, et se dit qu'en somme "l'éditeur et propriétaire" est un galant homme, et qu'il n'a rien de mieux à faire, (lui, le pauvre diable), que d'attendre. L'on pourrait supposer qu'en effet il eût attendu... si la mort l'avait voulu. Il meurt de faim, et par la bonne fortune de sa mort, le gras éditeur et propriétaire s'engraisse encore de la valeur de vingt-cinq dollars, si habilement sauvés, pour être généreusement dépensés en canards-cendrés et en champagne.
Nous espérons que le lecteur, en parcourant cet article, se gardera de deux choses: la première, de croire que nous l'écrivons sous l'inspiration de notre propre expérience, car nous n'ajoutons foi qu'au récit de souffrances bien réelles, -- la seconde, de faire quelque application personnelle de nos remarques à quelque éditeur actuellement vivant, puisqu'il est parfaitement reconnu qu'ils sont tous aussi remarquables par leur générosité et leur urbanité, que par leur façon de comprendre et d'apprécier le génie.


(Extrait de "Quelques Secrets de la Prison du Magazine" -- février 1845.
Traduction de F. Rabbe -- 1887.)

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