Tuesday, August 03, 2004

(STRATEGIE NOUVELLE...)


Philadelphie, 30 mars 1844.

Mon cher ami,

(...)
Quel effroyable état que celui de notre littérature à l'heure actuelle! Où va-t-on? Nous avons, à coup sûr, besoin de deux choses : une loi internationale sur les droits d'auteur, et une revue mensuelle solidement établie, d'une valeur, d'un tirage et d'un caractère qui lui permettent de gouverner notre littérature et de lui donner le ton. Ce devrait être, matériellement, un modèle de bon goût qui ne fût pas trop raffiné, c'est-à-dire d'une impression ferme, sur d'excellent papier, sans divisions de colonnes, illustré, et non simplement embelli, par de vigoureux dessins dans la manière de Grandville. Son but principal devrait être l'Indépendance, la Vérité, l'Originalité. Ce devrait être une brochure d'environ 120 pages, livrable à 5 dollars. Elle devrait se passer des agents et des agences. Une pareille revue pourrait avoir une influence prodigieuse, et serait une source de fortune immense pour ses propriétaires. Il ne peut y avoir de raison qui s'oppose à un tirage de 100.000 exemplaires dans un ou deux ans ; mais les moyens de la mettre en circulation devraient être radicalement différents de ceux qu'on emploie d'ordinaire.
Une telle revue pourrait sans doute être lancée par une coalition, et, une fois lancée, pour peu qu'on sût s'y prendre, elle deviendrait irrésistible. Supposez, par exemple, que l'élite de nos hommes de lettres s'associe secrètement. Il y en a beaucoup à la tête des journaux, etc... Que chacun d'eux souscrive, par exemple, 200 dollars pour les débuts de l'entreprise et fournisse encore quelques contributions de temps à autre, selon les exigences, jusqu'à ce que l'affaire se trouve établie. Les articles ne seraient fournis que par des membres de la société exclusivement, et d'après une organisation concertée. Un rédacteur en chef serait choisi par le vote dans ce nombre. Comment une telle revue pourrait-elle échouer? Je voudrais bien connaître votre opinion à ce sujet. Ne pourrait-on pas "mettre la balle en mouvement"? Si nous ne nous défendons pas par quelque coalition de cette nature, nous serons dévorés sans pitié par les Godeys, les Snowdens, et id genus omne.

Votre ami très sincère,

Edgar A Poe


(Extrait d'une lettre au poète J. R. Lowell.
Début 1843, le "Penn Magazine" change de nom pour désormais s'appeler le "Stylus". Jusqu'à la fin de sa vie, Poe persistera dans cet ambitieux projet pour lequel il multipliera prospectus, encarts publicitaires et démarches en tous genres afin de s'assurer le concours de collaborateurs et de souscripteurs. Il réalisera même de sa plume plusieurs maquettes dans l'espoir d'enfin voir se concrétiser la revue de ses rêves. Aucun numéro, hélas, ne verra jamais le jour...
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)

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