Sunday, August 01, 2004

(ARDENT DESIR D'INDEPENDANCE)

PROSPECTUS
du
PENN MAGAZINE

Revue littéraire mensuelle
Qui doit être éditée et publiée dans la cité de Philadelphie
par
EDGAR A. POE

AU PUBLIC. -- Depuis que j'ai renoncé à la direction du Southern Literary Messenger, au début de sa troisième année, j'ai toujours eu en vue la création d'une revue gardant quelques-uns de ses traits principaux et abandonnant ou modifiant largement les autres. Des retards ont été occasionnés par des causes variées, et ce n'est que maintenant que je me trouve le loisir de tenter l'exécution de ce dessein.
On me pardonnera de parler avec plus de précision du Messenger. N'y ayant aucun droit de propriété et mes vues étant à bien des égards en désaccord avec celles de son très digne propriétaire, j'ai trouvé difficile d'en marquer les pages de cette individualité que je crois essentielle au plein succès de toutes les publications analogues. En vue de leur influence permanente, il me semble qu'un constant caractère bien tranché et une fermeté de dessein bien accentuée sont des conditions d'une importance vitale, et je ne puis m'empêcher de croire que ces conditions ne sont réalisables que quand une seule volonté préside à la direction générale de l'entreprise. L'expérience a rendu manifeste, -- ce qui aurait pu en réalité être démontré a priori, -- que c'est en créant une revue qui m'appartienne que je puis trouver ma seule chance de mettre à exécution les intentions particulières que j'ai bien pu avoir.
A ceux qui se rappellent les premiers jours de la revue méridionale en question, il sera à peine nécessaire de dire que son trait principal était une âpreté quelque peu exagérée dans ses notices critiques sur les livres nouveaux. Le Penn Magazine ne conservera cette sévérité qu'autant que le permettra le sentiment de justice le plus calme, mais aussi le plus strict. Les quelques années qui se sont écoulées ont pu atténuer la pétulance sans nuire à la perspicacité du critique. Elles ne lui ont assurément pas encore enseigné à lire par les yeux d'un éditeur autoritaire ni ne l'ont convaincu que les intérêts des lettres ne sont pas alliés aux intérêts de la vérité. Ce sera le premier et le principal but de la revue projetée que de se faire connaître comme offrant en tous temps et sur tous sujets une opinion honnête et intrépide. Ce sera son dessein dominant que d'affirmer par les préceptes et de maintenir par la pratique, tout en prouvant par les résultats, les avantages d'une critique absolument indépendante, d'une critique consistante, qui ne se guide que par les principes les plus purs de l'Art, qui analyse et affirme ces principes tout en les appliquant, qui se tienne à l'écart de toute partialité personnelle, qui n'admette d'autre crainte que celle d'outrager la justice, qui ne fasse aucune place à la vanité de l'auteur, ni aux prétentions de préjugés antiques, ni au jargon entortillé et anonyme des revues trimestrielles, ni à l'arrogance de ces coteries organisées qui, pesant comme des cauchemars sur la littérature américaine, fabriquent en gros, au moindre signe de nos principaux éditeurs, une fausse opinion publique. Ce sont là des desseins dont personne n'a lieu de rougir. Ce sont même là des intentions dont la nouveauté mérite au moins quelque intérêt. Pour prouver que je veux mettre la plus grande ardeur à les réaliser à la lettre, j'en appelle avec confiance à ces amis, et surtout à ces amis du Sud, qui m'ont soutenu au Messenger où je n'avais qu'une occasion imparfaite d'exécuter mes plans.
Quant aux traits caractéristiques du Penn, quelques mots suffiront ici.
Il s'efforcera de soutenir les intérêts généraux de la République des Lettres, sans égard pour les diverses régions, considérant le monde en son ensemble comme le véritable auditoire de l'auteur. En dehors des limites de la littérature proprement dite, il laissera à de meilleures mains le soin d'instruire sur tous les sujets d'une très grave importance. Son but sera surtout de plaire, et cela à force de variété, d'originalité et de vigueur mordante. Il convient d'ajouter ici que ce prospectus ne contient rien qu'il faille interprêter en un désir de souiller la revue d'aucune de ces bouffonneries, de ces grossièretés, ou de ces indignités qui avilissent quelques-unes des plus florissantes publications européennes. Dans toutes les branches de la littérature, on s'est assuré le meilleur concours d'hommes capables de puiser aux sources les plus hautes et les plus pures.
A l'exécution matérielle de la revue, on accordera la plus grande attention que puisse exiger un pareil travail. On se propose à cet égard de surpasser de beaucoup le genre ordinaire des revues. Le format ressemblera assez à celui du Knickerbocker ; le papier vaudra celui de la North American Review ; les ornements artistiques n'auront pas d'autres buts que d'illustrer le texte.
Le Penn Magazine sera publié à Philadelphie le premier de chaque mois et formera chaque semestre un volume d'environ 500 pages. Le prix sera de 5 dollars par an, payable à l'avance ou au reçu du 1° numéro, qui paraîtra le 1° mars 1841. Les lettres doivent être adressées au directeur et propriétaire,

EDGAR A. POE.

Philadelphie, 1° janvier 1841.


(Dernière mouture du feuillet publicitaire, imprimé fin 1840, pour le lancement du "Penn Magazine".
Cette revue ne vit jamais le jour.
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)

0 Comments:

Post a Comment

<< Home