Monday, July 26, 2004

(PROPHETIES)

(...) Il est écrit au livre d'Isaïe, à propos d'Idumée, "qu'il n'y aura personne qui passera à travers elle à jamais". Dans son "Accomplissement Littéral des Prophéties", le Dr Keith insiste, comme d'habitude, pour qu'on interprète ce passage strictement à la lettre. Il essaie même de prouver que Burckhardt ni Irby n'ont passé à travers ce pays, -- qu'ils se sont bornés à gagner Pétra et à en revenir. D'autre part, notre compatriote John L. Stephens, ayant conçu le dessein bien arrêté de trancher la question, s'est rendu en Orient pour s'assurer si tel était bien le sens exact de la prédiction, et il rapporte "qu'à cet effet, il a passé à travers l'Idumée, d'un bout à l'autre." Mais de toute façon, l'erreur apparaît manifeste d'un côté comme de l'autre. En ce qui concerne Mr Stephens, il faut reconnaître d'abord que, insuffisamment versé en géographie ancienne, il ne pouvait savoir que la région dont il a effectivement tenté la traversée n'est pas celle mentionnée dans la Bible sous le nom d'Idumée ou d'Edom, cette dernière se trouvant située beaucoup plus à l'Est. Ensuite, qu'il ait ou non "passé à travers" la vraie Idumée, ou que, plus récemment, quelqu'un ait pu ou non la traverser, ce sont là des arguments sans importance, et il est superflu de les invoquer, soit pour confirmer, soit pour infirmer l'accomplissement littéral des prophéties. Quant au Dr Keith, /nous répétons ici notre adhésion sans réserve à sa thèse... pour autant que les prophéties soient rendues de façon strictement littérale. Or, quelle n'est pas notre déception, et notre surprise, de constater qu'il a totalement négligé de vérifier si sa version de référence est exacte ou non, et ce au point de/ supposer, à tort, qu'il est formellement défendu de voyager à travers ce pays.
Le passage cité plus haut comme renfermant la prétendue interdiction, se trouve dans le Livre d'Isaïe, chap. XXXIV: 10, et se lit textuellement ainsi: Lenetsach netsachim ein over bah (nous n'avons pas les caractères hébraïques). En voici le sens mot à mot: Lenetsach, pour une éternité; netsachim, d'éternités; ein, ne pas; over, se mouvoir çà et là; bah, en elle. En suppléant au texte: pour une éternité d'éternités, il n'y aura personne se mouvant de-ci de-là en elle, -- et non à travers elle. Le participe over se réfère à quelqu'un circulant de-ci de-là, ou de haut en bas, et c'est cette même expression qui, servant d'épithète à l'argent monnayé, a été rendue ailleurs par "ayant cours". (Voir Genèse, XXIII: 16). Le prophète a voulu dire seulement qu'il n'y aura dans le pays aucun signe de vie, -- aucun être vivant, -- personne s'y mouvant en haut ou en bas. En d'autres termes, il a simplement fait allusion à l'abandon général et à la désolation d'Idumée.
Une faute analogue a été commise dans l'exégèse d'un verset d'Ezéchiel, chap. XXXV: 7, où la même région se trouve mentionnée. La version qu'on en a généralement adoptée est la suivante: "Ainsi je réduirai le mont Seïr en désolation et en désert, et j'exterminerai celui qui y va et celui qui en revient." Le Dr Keith y attache une signification semblable à celle qu'il a précédemment attribuée à la sentence d'Isaïe, et, une fois de plus, il voudrait en déduire qu'il est interdit de traverser l'Idumée, sous peine de mort. Il va jusqu'à considérer le décès de Burckhardt, survenu peu de temps après le retour de ce voyageur en Europe, comme une conséquence de sa tentative audacieuse, et il ne manque pas de faire valoir par cet exemple le bien fondé de son hypothèse.
Or, le texte d'Ezéchiel porte: "Venathati eth-har Seir leshimmamah ushemamah vehichrati mimmennu over vasal" et signifie, mot pour mot: Venathati, et je donnerai; eth-har Seir, la montagne Seïr; leshimmamah, pour une désolation; ushemamah, et une désolation; vehichrati, et j'exterminerai; mimmennu, d'elle; over, celui qui allait; vasal, et celui qui venait. Ce qu'on peut résumer ainsi: -- Et je donnerai à la montagne Seïr la plus profonde désolation, et j'exterminerai celui qui y passait et repassait. De même que dans le verset précédemment cité, allusion est faite ici aux habitants du pays, considérés comme allants et venants, c'est-à-dire se livrant avec activité aux diverses occupations de la vie. Mon opinion se base du reste sur l'acception que Gesenius a donnée aux mots over vasal, dans son dictionnaire, tome II, page 570 (traduit par Leo). Comparez aussi Zacharie, VII: 14 et IX: 8. On trouvera quelque chose d'approchant dans la rédaction grecque d'une phrase des Actes, IX: 28 "kai ên met' autôn eisporeuomenos kai ekporeuomenos en Ierousalêm" ( nous n'avons pas les caractères grecs -- soit, "Et il était avec eux à Jérusalem, s'éloignait et revenait"). Le rapport modal correspond à la forme latine "versatus est", exactement équivalente. Sans doute, il faut entendre par là que Saül, le nouveau converti, vivait dans l'intimité avec les vrais croyants, à Jérusalem; qu'il passait et repassait au milieu d'eux, allait de l'un à l'autre, les quittait et revenait. (...).

 
(Extrait du compte-rendu critique de "La Philosophie Sacrée des Saisons... par le Révérend H. Duncan..." -- mars 1840, tel que reproduit, à peine modifié, parmi les "Marginalia" de décembre 1844, et redonné dans l'édition posthume de 1850.
A l'origine, en octobre 1837, ce texte figurait sous une forme plus élaborée dans le compte-rendu critique des "Incidents d'un Voyage en Egypte, en Arabie Pétrée et en Terre Sainte" de John L. Stephens.
Poe possédait indiscutablement des rudiments d'hébreu -- maints passages de son oeuvre en témoignent -- mais, dans le cas présent, toute l'érudition linguistique lui vient en fait d'une lettre du Professeur Ch. Anthon, datée du 1° juin 1837, en réponse aux questions précises d'exégèse qu'il lui avait soumises en journaliste consciencieux. Cette analyse, cette réflexion -- invariablement ignorées, hélas, des éditions françaises -- Poe va les reprendre quelques mois plus tard pour les prolonger et les exploiter de manière surprenante, et superbe, dans la composition des derniers chapitres de son "Récit d'Arthur Gordon Pym" -- conférant ainsi à cette oeuvre déjà puissante et hautement symbolique une note quasi mystique. "Tsalal", par exemple, est bien un mot hébreu qui signifie "A l'ombre je fuis", ou "Dans l'eau je sombre". Et ce peuple frappé de malédiction qui vit au dedans des rochers, n'évoque-t-il pas singulièrement Pétra et l'Edom de la prophétie? 
Traduction, retouchée, de V. Orban -- 1913.)
 


0 Comments:

Post a Comment

<< Home