Saturday, June 26, 2004

(METHODE DE COMPOSITION)

On pourrait écrire un excellent article en prenant pour sujet les degrés successifs suivant lesquels une grande oeuvre d'art -- surtout d'art littéraire -- arrive à son achèvement. Que la distance est grande, toujours, entre le germe et le fruit, -- entre l'oeuvre et la conception originale! Parfois la conception originale est abandonnée ou même complètement perdue de vue. Beaucoup d'auteurs s'asseoient pour écrire sans idée précise, confiants dans l'inspiration du moment; ne soyons pas surpris, par conséquent, que beaucoup de livres soient sans valeur. La plume ne devrait jamais toucher le papier sans qu'un dessein GENERAL bien mûri ait été au moins conçu. Dans la fiction le DENOUEMENT, dans toutes les autres compositions l'EFFET cherché, doivent être définitivement étudiés et arrêtés avant que d'écrire le premier mot; et aucun mot ne devrait être écrit qui ne tende pas, ou ne fasse partie d'une phrase tendant au développement du DENOUEMENT ou au renforcement de l'EFFET. Quand l'INTRIGUE fait partie de l'intérêt recherché, on ne saurait apporter trop de réflexion. Ce mot d'INTRIGUE est très imparfaitement compris et n'a jamais été correctement défini. Beaucoup de gens croient qu'il s'agit d'une simple complication d'incidents. Dans sa plus rigoureuse acception, l'intrigue est CE DONT AUCUN ATOME COMPOSANT NE PEUT ETRE ENLEVE, CE DANS QUOI AUCUN ATOME COMPOSANT NE PEUT ETRE DEPLACE, SANS TOUT RUINER; et bien qu'une intrigue passable puisse être bâtie, sans répondre strictement à la rigueur de la définition, c'est cependant cette définition qu'un véritable artiste ne doit jamais perdre de vue, et qu'il doit s'efforcer d'accomplir dans ses oeuvres. Quelques auteurs, pourtant, semblent totalement dépourvus de sens constructif, d'où il résulte qu'ils échouent remarquablement dans leurs intrigues, malgré l'abondance de leur invention. Dickens appartient à cette classe. Dans "BARNABE RUDGE", par exemple, on ne constate aucune habileté d'ARRANGEMENT. Godwin et Bulwer sont les meilleurs constructeurs d'intrigues de la littérature anglaise. Godwin a laissé une préface à son "CALEB WILLIAMS" dans laquelle il dit que le roman a été ECRIT A RECULONS: l'auteur a d'abord achevé le second volume, dans lequel le héros est entraîné dans un labyrinthe de difficultés, puis il a cherché des combinaisons pour trouver une cause suffisante à ces difficultés, afin d'y accommoder le premier volume. Ce système ne peut sûrement pas être recommandé; mais il illustre l'idiosyncrasie de Godwin. Le "POMPEI" de Bulwer est un exemple d'intrigue admirablement menée, mais son "NUIT ET MATIN" sacrifie à la SIMPLE intrigue des intérêts de beaucoup plus grande valeur.

(Sixième pièce du "Chapitre de Suggestions" publié dans "L'Opale", fin 1844. Traduction de Ph. Dally -- 1939.)

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