Thursday, July 01, 2004

(CONFERENCE SUR L'UNIVERS... EUREKA!)

Cher Monsieur,

(...) Je n'ai toujours pas vu "Les Vestiges de la Création"; et ce n'est jamais faire preuve de grande sagesse ou de grande circonspection que de se forger une opinion à propos d'un livre par la seule lecture des critiques qui en rendent compte. Les extraits de cet ouvrage qu'il m'a été donné de parcourir abondent en inexactitudes flagrantes: -- encore que celles-ci puissent fort bien n'affecter en rien l'argument général. Une chose est sûre: les objections venant de SIMPLES hommes de sciences -- j'entends par là ceux qui ne s'occupent que de sciences physiques, sans le moindre recours, à quelque degré que ce soit, aux mathématiques, à la métaphysique et à la logique -- ces objections sont la plupart du temps non valides, sauf pour ce qui concerne des points de DETAILS scientifiques. De tout ce que le monde compte dans le genre, ceux dont je parle sont tout à la fois les plus sectaires et les moins aptes à exploiter, à organiser, à interprêter correctement les données que mettent en lumière leurs expérimentations. Et ce sont ceux-là même qui sont les premiers à écrire de la critique CONTRE toutes les tentatives de généralisation -- les dénonçant comme "purement spéculatives" ou "uniquement théoriques".
La notice sur ma Conférence, parue dans le "New-World", a été rédigée par quelqu'un de grossièrement incompétent en la matière. On ne peut se faire la moindre idée de ce que j'ai pu exposer ni à partir de celle-ci, ni à partir d'aucune des autres proposées dans les journaux -- à l'exception peut-être de celle écrite pour l'"Express" par E. A. Hopkins, un gentleman de Vermont au bagage scientifique imposant. Je vous envoie ci-joint le rapport qu'il en donne -- malgré ses inexactitudes sur bon nombre de points. Il a en tout cas le mérite de restituer ma conception GENERALE, sans verser dans la caricature.
Je n'ai pas encore publié cette "Conférence", mais, quand elle sortira de presse, je me ferai un plaisir de vous en faire parvenir un exemplaire. En attendant, permettez-moi de vous livrer succinctement mes CONCLUSIONS principales.

PROPOSITION GENERALE : Parce que Rien n'était, pour cela Toutes Choses sont.

1. Un examen de l'UNIVERSALITE de la Gravitation -- i.e. du fait que chaque atome tend non vers quelque point commun, mais vers chacun des autres atomes -- suggère la parfaite totalité, ou ABSOLUE UNITE, comme la source du phénomène.

2. La Pesanteur n'est que le mode selon lequel se manifeste la tendance de toutes choses à retourner à leur originelle unité.

3. Je montre que la loi réglant le retour -- i.e. la loi de Gravitation -- est seulement un résultat nécessaire du nécessaire et unique mode possible d'égale irradiation de la matière dans un espace LIMITE.

4. Si l'Univers des Astres (à la différence de l'univers de l'espace) était illimité, aucun des mondes ne pourrait exister.

5. Je montre que l'Unité est Néant.

6. Toute matière, jaillissant de l'Unité, a jailli du Néant, i.e. a été CREEE.

7. Tout retournera à l'Unité, i.e. -- au Néant.

Je vous serais très reconnaissant de me faire savoir jusqu'à quel point ces idées coïncident avec celles des "Vestiges de la Création".

Très respectueusement vôtre,


Edgar A Poe

(...)

(Lettre de Poe à G. E. Isbell, écrite au verso d'un prospectus publicitaire annonçant à nouveau le lancement prochain de son magazine idéal, le "Stylus", et datée du 29 février 1848. Cette conférence sur "L'UNIVERS" sera publiée en juillet de la même année sous le titre bien connu d'"EUREKA". Traduction partielle de F. Fénéon -- 1895.
Notons que dans sa lettre à George W. Eveleth, elle aussi datée du 29 février 1848, Poe adressait la même présentation synthétique avec, toutefois, les précisions suivantes:


"((...))

"2. La Pesanteur n'est que le mode selon lequel se manifeste la tendance de toutes choses à retourner à leur originelle unité -- elle n'est que la réaction du premier Acte Divin.

"3. La LOI réglant le retour -- i.e. la LOI de Gravitation -- est seulement un résultat nécessaire du nécessaire et unique mode possible d'égale IRRADIATION de la matière dans l'espace: cette EGALE irradiation est nécessaire comme base à la Théorie Nébulaire de Laplace.

"((...))

"5. L'esprit connaît la Matière SEULEMENT par ses deux propriétés, attraction et répulsion; c'est pourquoi la Matière EST seulement attraction et répulsion: un globe des globes définitivement consolidé, n'étant qu'un seul atome, serait sans attraction -- i.e. gravitation; l'existence d'un tel globe présuppose l'expulsion de l'éther disjonctif que nous savons exister entre les atomes actuellement diffus: ainsi le globe final serait matière sans attraction et répulsion, mais celles-ci SONT matière; donc le globe final serait matière sans matière -- i.e. pas matière du tout: il doit disparaître. Ainsi l'Unité est NEANT.

"((...))"

Traduction de F. Fénéon -- 1895.)

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